vendredi 18 juillet 2014

Le 20h de France 2 du 17 juillet 2014 : l'incompétence qui impressionne.

Aujourd'hui, je voudrais faire un "big up" (oui, je suis jeune et fou) au présentateur joker du journal de 20h de France2, et par extension à toute sa rédaction : Julian Bugier. En effet, l'édition d'hier soir (le 17 juillet 2014) a été un régal sans pareil. Certaines informations étant tombées bien trop tard (17h, rendez-vous compte...), il a dû écrire ses textes bien à la bourre et nous a permis de constater qu'on pouvait présenter le 20h en total freestyle. Démonstration (le lien vers la vidéo est à la fin de l'article) :



- Il commence son journal par l'info du jour : un Boeing de la Malaysia Airline qui aurait été abattu au-dessus de l'Ukraine par des séparatistes. Il va donc logiquement balancer, pépère, un excellent :
"Il n'y aurait aucune victim... aucun survivant."
C'est vrai que pour 300 morts, ça ne vaut pas le coup de préparer sa phrase. Mais mettons ça sur le compte de la chaleur et de l'empressement.

- Malheureusement, il continue juste après avoir annoncé les titres (1:23) avec un :
"Bienvenue à tous ! L'information est donc tombée peu après 17 heures : 295 personnes étaient à bord de l'appareil."
C'est maladroit. Mais alors VRAIMENT maladroit. Bon, imaginons que l'insolation était proche, et qu'il était fatigué. Continuons.

- Notons en passant que France 2 avait pour l'occasion préparé en toute hâte un joli insert "UKRAINE CRASH" placardé en bas à droite de l'écran comme un trophée piqué à BFMTV (qui récupérera les invités présents sur ce plateau quelques minutes plus tard). Assez lamentable.

- EDIT : merci à David, qui m'a gentiment fait remarquer que dans la présentation des titres du journal un texte à l'écran est ainsi présenté : "Un TGV percuRte un TGV". C'est balèze, ça, de "percurter" un train.

- Duplex avec Moscou, impeccable. Amsterdam, idem.

- Duplex avec le quai d'Orsay : la correspondante Anne-Claire Poignard HURLE littéralement son texte. Pourquoi ? Aucune idée, mais elle avait semble-t-il envie de crier. Dont acte.

- L'invité Pierre Servent annonce ensuite un reportage à venir dans le journal (sur les grandes erreurs militaires)... que bien entendu personne n'a jamais vu car on n'avait pas trop le temps de le faire passer. Quand on ne fait pas partie de la rédaction, on se tait. Le réalisateur a dû apprécier.

- Ensuite, un duplex encore plus intéressant, puisque nous voilà en relation avec Kuala Lumpur, en Malaisie (que Julian Bugier vient de citer), le lieu où devait arriver l'avion. Ah, on me fait signe que Julian Bugier a dit "Bonsoir Pierre Monégier, vous êtes notre correspondant sur place... dans la région...". Ah ça, on peut préciser "dans la région", puisque le Pierrot en question se trouve à New Delhi, en Inde. C'est seulement à 5600 kilomètres, exactement comme si je disais que je fais un duplex depuis New York... mais à Dijon. Pro-fes-sion-na-li-sme, cré-di-bi-li-té, u-ti-li-té.

- Le reportage suivant est totalement surréaliste, puisque c'est un sujet à propos d'une collision entre un TER et un TGV dans le sud de la France. Une journaliste a appelé un responsable pour demander des explications techniques, et voici la retranscription de leur dialogue :
Le responsable : Le TER est venu percuter l'arrière du TGV, voilà. Ils roulaient tous les deux dans la même direction...
La "journaliste" : Sur la même voie ?
Le responsable (un peu excédé) : Bah oui, sur la même voie, oui...

Notez que le réalisateur aurait pu couper AVANT la question totalement idiote de la journaliste (non mais elle est SÉRIEUSE quand elle demande ça, quand même...). Mais quand on peut passer pour des cons aux yeux du monde, pourquoi hésiter ?
Bonus : le titre sous les images est "un TGV percute un TER". Non, non. C'est le TER qui a percuté le TGV. Nuance. Au moins ils ont bien orthographié le verbe, cette fois.

- Lors de ce début de journal, nous avons été en seulement 14 minutes en duplex (toujours en direct) avec Moscou, Amsterdam et New Delhi (huhuhu)... mais c'est bien lors du prochain duplex téléphonique (en gros : un appel de portable) avec Denguin (à 800 kilomètres de distance) qu'on a pu saisir la puissance de l'équipe technique de France 2. L'appel du correspondant (Laurent Lataste, de France 3 Aquitaine) dure tout de même plus de 45 secondes, rendues particulièrement longues à cause d'un souci de son monstrueux. Car la bouillie sonore que l'on entend ne ressemble en rien à des informations, mais tout juste à des borborygmes entrecoupés de mots peu distincts. S'ils sont chez Bouygues Telecom, c'est peut-être un coup de TF1. On comprend à peine qu'un nourrisson a été héliporté, et hop, notre cher Julian remercie le journaliste (mais pas la technique) en ajoutant, espiègle : "Pardonnez-nous pour cette ligne un peu difficile". C'est sympa de s'excuser, mais en français ce serait plus sympathique, Julian.

- Le reportage suivant est bien entendu terrible, puisque Julian Bugier annonce qu'à Gaza, quatre enfants sont morts sur une plage, (je cite) "fauchés par une bombe". Dans le reportage, on apprendra que les enfants ont été (je cite) "fauchés par des tirs israéliens" (on comprend donc "par des tirs d'armes à feu", avec cette phrase). Par la suite, la journaliste va dire que deux "frappes" ont touché les enfants. Ce terme est bien entendu utilisé pour parler de "frappes aériennes", dans le jargon guerrier... ce qui implique qu'il s'agissait de tirs de roquettes (ou de mortiers). Cela est corroboré un peu plus tard, quand on parle d'"éclats" et de "déflagration" (au singulier, alors qu'on vient de nous en citer deux). Et puis un enfant rescapé du drame parle alors de "missile". Il ne manque plus que la grenade, et on a un arsenal complet.
Heureusement pour nous, ce désastre est arrivé devant l'hôtel des journalistes, et des dizaines d'entre eux sont accourus immédiatement. Malheureusement pour nous, ceux de France 2 devaient finir un sudoku, puisqu'après le reportage on ne sait toujours pas comment sont morts ces pauvres gosses. Cela leur rend bien hommage.

- Suivent ensuite (au bout de 18 minutes bien remplies) les traditionnelles "versions longues" des reportages diffusés à midi : de bons gros marronniers sur les vols de voitures, les médecins qui profitent du système et la chaleur.

- Notez que le sujet sur les vols de voitures a presque été commandé par le ministère de l'intérieur, puisqu'il coïncide miraculeusement avec le nouveau plan du gouvernement pour lutter contre le trafic de voitures volées. How convenient. Le reportage en question est d'ailleurs un véritable bijou, puisqu'il met en lumière le talent d'acteur d'un certain Philippe Lasserre, victime du vol de son cabriolet blanc pendant son sommeil. On sent que les répétitions pour qu'il réussisse à mimer la scène de la "découverte" du larcin ont été ardues, puisque cela sonne tellement faux que c'en est ahurissant (on dirait une scripted reality de l'après-midi, si vous voyez ce que je veux dire). Actor studio tellement intéressant qu'on va même le récompenser en allant verser une larme sur une photo de la chère disparue. Ridicule. Le reportage dure tout de même 5 minutes, soit un quart du temps écoulé à ce moment-là. Pas mal.

- Le sujet sur les médecins qui gagnent des bonus en atteignant certains "quotas" avec leurs patients est plus rafraîchissant. Dans celui-ci, un médecin (visiblement de bonne foi) va dire gagner 8000€ supplémentaires par an pour "bon travail envers la sécurité sociale". Problème : la journaliste, en voix-off, va ensuite énumérer les services "valorisés", même les plus minimes. Ainsi, on accumule les exemples comme on accumulerait les pièces de monnaie, faisant passer le médecin pour une personne qui va volontairement ajouter des actes médicaux pour engranger de l'argent. Ajoutons à cela l'utilisation du champ lexical des professions dites "commerciales", des termes détestés par les Français comme "rémunérations sur objectifs, bonus"...
Malgré un passage sur une économie d'un milliard de feuilles de soin grâce à ces actes utiles des médecins (et demandés par la Sécurité Sociale), la journaliste arrive tout de même à caser le mot "paperasse", un mot dépréciatif qui ne sied guère à un reportage sérieux dans un journal sérieux. Du coup, l'argument perd de son poids. Que cela soit volontaire ou non, ces expressions sont dangereuses car elles desservent le propos. Ensuite, on nous dit que la Cour des Comptes réclame des sanctions quand les objectifs ne sont pas atteints, et que le système est trop coûteux. Forcément, le système est sur la base du volontariat... et on ne peut pas demander à un médecin de campagne de vacciner 1000 personnes de plus de 65 ans contre la grippe. Bref, un reportage qui n'aura pas fait avancer d'un iota la compréhension qu'a l'auditeur du problème. Mais demain, il pourra gueuler au boulot que "ces fumiers de médecins, ils s'en foutent encore plein les poches", ce qui est malheureusement le contraire du propos initial. Bravo.

- L'info suivante est désastreuse. Elle concerne le licenciement de 18000 personnes chez Microsoft (dans le monde entier). Aucune info (plan social ? départs volontaires ?), le sujet est traité en dix secondes... et ce cher Julian arrive tout de même à dire que Microsoft vient de racheter NOKIA... sans pour autant révéler que c'est justement chez NOKIA que les licenciements vont se faire (12500), à cause de doublons de postes occasionnés par cette acquisition. Ah, il oublie aussi de dire une chose importante : la France devrait être préservée lors de ces suppressions d'emplois. C'est tout de même important, et surtout... il l'avait dit dans les titres. Pas de bol, si vous avez pris le journal en cours (ou même UNE MINUTE après son lancement), vous ne le saurez jamais. Excellent travail.

- Oh, et oui, ils ont bien casé les quatre paires de seins des FEMEN qui ont réussi à se désaper au Sénat, je vous remercie de poser la question. On n'a rien loupé, les sénateurs non plus.

- Je passe sous silence l'ÉNORME reportage sur la chaleur. C'est l'été, on a chaud. Merci à France 2 de nous le confirmer, mais je l'avais remarqué en ouvrant mes volets. Par contre, on a eu droit au duplex de folie avec la présentatrice de la météo... au canal Saint-Martin (ce midi, elle se tenait près de la tour Eiffel. Notez le crescendo). Wouhou. Sinon, le cadreur était bourré - ou juste mauvais - car une fois le duplex terminé j'ai eu l'impression d'avoir vu deux épisodes de 24. Sachez qu'une masse d'air froid est "en embuscade". C'est flippant, la météo, par rapport au crash d'un avion de ligne.

- Il y a aussi eu un bon sujet sur la neige du Groenland qui noircit, un entrefilet sur un feu de pinède et un truc chopé sur le net que tout le monde a vu sur Facebook : un mystérieux cratère s'est ouvert en Sibérie. Le cratère prend bien entendu deux fois plus de temps à expliciter que le feu dans le sud de la France. Bah oui, quand même, faut pas déconner.

- Un reportage "de saison" sur les superbes demeures de Biarritz que vous pouvez visiter pendant vos vacances et un autre sur les colonies de vacances (bien trop longs, mais on meuble comme on peut) clôturent ce cahier "marronniers de remplissage alors qu'il y a une actu de malade entre la bande de Gaza, les affrontements en plein Paris lors de la manifestation pro-palestinienne et l'avion de ligne abattu (quatre Français au minimum y avaient apparemment pris place). Bah, il fait chaud. Faut en parler, aussi. C'est pas comme si ça arrivait chaque année. Le sujet sur Biarritz m'a légèrement fait bondir, puisque j'ai eu un peu de mal à entendre la narratrice dire "tombé en amour pour". Même si c'est mignon tout plein et poétique, cette tournure de phrase est anglo-saxonne (to fall in love with) et n'est utilisée de la sorte qu'au Québec. De plus, on tombe en amour "avec", et non "pour", d'après mes investigations. C'est vilain.

- On revient aux infos importantes, ne vous en faites pas ! On reparle enfin vers la fin du journal du fameux Boeing de la Malaysia Airline (d'ailleurs on est passé sans transition à "plus de 300 victimes", et non 295). Chouette, un gars a bossé pendant tout le journal pour monter ce sujet (c'est réel, les images venaient d'arriver au début du journal) ! Pas de bol, il l'a titré "un avion s'écrase en Ukraine" et pas "un avion civil se fait dézinguer par un missile paramilitaire". On perd quand même en information, là.
Bon, on apprend que les séparatistes pro-Russes ont la boîte noire de l'avion, que chacun se rejette la faute... merci, parce que c'était annoncé dans les titres et on avait totalement oublié de le dire... Sinon, une guerre est potentiellement possible à cause d'un incident diplomatique majeur entre trois nations (Pays-Bas, Russie et Ukraine). Je dis ça comme ça.

- Ah oui, d'après les annonces du présentateur, on devait aussi entendre les premières réactions (cela ne comprend pas celles du journaliste sur place) après l'accident de train. Il n'y en aura pas. Pas le temps, il faut parler (en vitesse) du Tour de France et de la mort de Johnny Winter (c'est toujours ça de pris).


Je vais terminer cette analyse par la meilleure citation de tout le journal, toujours au crédit de l'exceptionnel Julian Bugier et qui résume bien l'esprit de ce journal très, mais alors très instructif :

"Cette dernière minute qui nous parvient à l'instant"


Bonne journée à tous.


Gérald "Khayrhalt" Mercey


Le bijou en question (EDIT : le lien a apparemment du mal à se charger depuis la fin du mois d'août) :

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