vendredi 9 janvier 2015

Charlie et les réseaux sociaux : les douze prochains coups qu’il faudra éviter. De tirer.

Attention, je préviens les ânes sans cibles que ce texte n’est ni politiquement correct, ni involontairement sarcastique. Par contre, il est grammaticalement inattaquable, et rien que pour ça il mérite largement un bisou. Pas trop mouillé le bisou, merci, il paraît qu’une épidémie de grippe balistique a déjà fait douze morts.
 

« Je pourrais en citer des dizaines, de ces petits proverbes si finauds, de ces citations percutantes qui depuis des centaines d’années ont plus de swag que les punchlines les plus « braaahhhh » des rappeurs les plus cotés. En veux-tu de mon « la plume est plus forte que l’épée » ? En voilà de mon « pas de liberté pour les ennemis de la liberté » ! Oh, ça, elle en aura fait couler de l’encre cette « Liberté » dont on parle tant. Elle aura aussi fait couler du sang, mais il paraît que ça part mieux que l’encre au lavage de cerveaux. Que ça c’était avant, et que vu que c’est écrit sur les frontons de nos institutions, tout est acquis. Eh bien non, et nous devons nous lever et nous lever encore pour que cette Liberté continue à exister, tout comme Charlie continuera à exister dans nos âmes. »

Ceci est le genre de saloperies rhétoriques de bas étage que vous allez liker dans les prochains jours, en pensant humainement – car vous êtes de bonnes personnes, et là je ne suis pas ironique – que tout cela est légitime et vrai. Diantre ! J’ai écrit un gros mot, lapidez-moi. Mais comment décrire autrement ce type de sentences oiseuses, emplies de mots vides et creux ? Comment qualifier ce type de mensonges éhontés qui jouent sur notre pathos largement défoncé ces derniers jours par des balles aux pointes moins creuses que le cerveau de ceux qui les ont tirées ?
Revenons un peu sur certains termes, et essayons d’être lucides. Car il faut l’être MAINTENANT, les déchainements socio-inculturels n’attendront pas le début du week-end.


1 : Le coup de la citation ou du proverbe à la mords-moi-le-nœud.
Il faut déjà comprendre que citations ou proverbes n’ont pas pour vocation d’être réellement universels, mais d’avoir un sens qui correspond la plupart du temps à l’époque à laquelle ils ont été signifiés. Comprenez que quand Kant écrivait des trucs aussi cocasses que  « la musique est la langue des émotions », il n’avait pas en tête un concert de Carlos ou de Justin Bieber. Sachez en outre que même si l’universalité de principe est évidente pour nombre de proverbes, l’argument qu’il apporte est souvent démontable en moins de deux par une mise en situation « moderne » ou, pire, un autre proverbe qui paraît lui aussi totalement sensé. Un exemple simple pour illustrer mon propos : « tel père, tel fils » / « à père avare, fils prodigue ». Moralité : ne likez pas aveuglément une citation seule, hors contexte. Jamais. De toute manière, 90% des citations sur le Net sont ou tronquées, ou fausses, ou attribuées à la mauvaise personne. Ce n’est pas moi qui le dis, c’est le Général de Gaulle.
En ce qui concerne ce que j’ai écrit plus haut… sachez être pragmatiques. Même si cela est très joli et semble porteur d’un espoir salvateur : non, la plume n’est pas plus forte que l’épée. Dans le principe, oui. Dans l’absolu, oui. Dans le sens réel et entier de cette phrase, OUI. Mais dans le cas qui nous concerne actuellement (je resitue : 12 personnes utilisant justement des plumes assassinées par un commando religieusement extrémiste utilisant justement des épées - on ne va pas épiloguer, mais là, ça veut dire « armes »), eh bien non. Ou alors on m’a foutrement menti quand on m’a dit que Cabu était mort, tué par une balle dont le trou n’était pas celui qu’on pense.
Bref, outre la gaudriole facile dont j’abuse perfidement, il faut aussi essayer de BIEN CHOISIR ses mots pour BIEN EXPRIMER ce que l’on veut faire passer. Ça peut paraître con et basique à mort, mais je vous assure que dès demain la mièvrerie et la bêtise crasse vont recouvrir les réseaux sociaux de leurs ailes dégueulasses. Alors, si on pouvait éviter d’en rajouter une couche supplémentaire… ce serait mignon tout plein.

2 : Le coup du style djeunz’ qui rend tout vachement plus classe, donc forcément plus intelligent.
C’est le ton que je prends actuellement, à vrai dire. Coolos, avec des gros mots dedans et des tournures de phrases qui fleurent parfois le jeu de mots et qui vous rappelle votre prof d’histoire de troisième. Oserai-je dire « le ton de l’Internet actuel » ? Oui, vu que de toute manière c’est déjà écrit. Aujourd’hui, ce ton 2 .0 est utilisé quasiment partout. Pas toujours maîtrisé, il vient d’une presse que je qualifie de « foutrement géniale » (parce que je suis un rebelz des bacs à sable) et qui a bercé mon enfance, mais dont l’exploitation outrancière sur tous les blogs « hypes » et dans toutes les planques de bobos en manque de reconnaissance ne doit pas vous faire oublier que très souvent le propos qui lui est associé est creux, voire fallacieux. Bref, c’est comme pour une culotte : la forme peut être superbe, mais le fond très sale.
Note en passant : le coup de la poésie qui craint un max, je le case dans cette partie. On ne va pas faire la fine bouche, hein, on est entre nous.

3 : Le coup de la Liberté dans le statut. Notez que je vais dire d’autres gros mots, et pas plus tard que tout de suite.
Bordel, c’est le truc le plus crade !! Regardez, je suis tellement pas-content-houla-regardez-il-est-tout-rouge que j’ai mis DEUX points d’exclamation à la fin de la phrase précédente, ce qui est incorrect et qui me fait fondre les yeux.
Je veux le dire bien fort (donc je vais utiliser des majuscules) : LA LIBERTÉ N’A PAS ÉTÉ TUÉE EN FRANCE LE 7 JANVIER 2015, BORDEL DE BORDEL !
D’ailleurs, si vous pouviez laisser la liberté d’expression et la liberté de la presse où elles sont, ce serait bien aimable de votre part. Vous vous demandez probablement pourquoi je dis de pareilles choses alors que bla bla bla un journal a été attaqué bla bla bla des journalistes tués bla bla bla terroristes ayant porté atteinte à nos libertés fondamentales ? Alors que – cerise sur le Mars glacé – je suis justement journaliste et que j’ai mis un « je suis Charlie » en image de profil sur Facebook ? Bah. Il y a une chose importante que je me dois de vous dire : il n’y a que les ÉTATS TOTALITAIRES qui portent atteinte à ces libertés. La liberté d’expression, la liberté de la presse, et la liberté tout court sont toujours en vigueur en France. POINT FINAL. PERSONNE ne vous a JAMAIS empêché de VOUS exprimer. On a empêché douze personnes de vivre, mais pas un peuple de respirer, bordel. Les trois fondus qui ont tué la moitié de la rédaction de Charlie Hebdo n’ont jamais touché « que » leur vie. C’est horrible, certes. Mais c’est un fait : tous, nous pouvons AUJOURD’HUI sortir dans les rues en épinglant des caricatures de Mahomet ou de ma cousine Berthe à poil (et elle a la cuisse légère). Le PRINCIPE FONDAMENTAL de liberté n’a pas bougé d’un iota. Seules douze voix se sont tues (cette phrase est tellement pompeuse que j’ai honte d’écrire pareilles platitudes, vous me faites vraiment faire n’importe quoi), et pas autre chose. Alors oui, on les aimait (et bordel – again -  je vous assure que je les aimais), mais par pitié ne faites pas de faux procès. C’est en 2007 que cette fameuse liberté d’expression qui est actuellement citée à comparaitre a failli être tuée, massacrée, piétinée par la loi française. En effet, si Charlie Hebdo avait été condamné lors du procès en rapport avec les caricatures de Mahomet, alors oui les Libertés d’expression et de la presse auraient été traînées dans la fange. Là, la LOI (et par extension l’État) aurait cautionné les attaques antidémocratiques fondamentales émanant de certains esprits chagrins. Je ne minimise absolument pas le sentiment de tristesse, les blessures ou la colère qu’ont pu ressentir certains musulmans en voyant ces caricatures. Je n’en ai pas besoin, puisque dans le principe je comprends que cela puisse heurter une certaine sensibilité que je me garderai bien de juger. Mais – car il y a un « mais » de cent milliards de pieds de nez de haut – il se trouve que ces caricatures ont été dessinées en France. C’est tout. La démonstration est terminée, sans sophisme, sans autre forme de procès.
La France est en effet un de ces TRÈS RARES pays dans lesquels on peut rire de tout, même si cela est choquant, triste, violent ou perçu comme insultant par certains. Alors oui, il y a quelques règles à respecter. La plus importante est : la satire est considérée comme telle (et donc inattaquable) si elle pose une question qui relève de l’intérêt général. Il n’y a pas à douter une seule seconde que cela a été le cas avec ces caricatures, puisqu’a posteriori on peut se demander comment un SIMPLE DESSIN, aussi choquant puisse-t-il paraître peut expliquer le fait de brûler des drapeaux, de menacer de mort, d’intenter des procès d’intention (amusante, cette phrase), d’incendier des locaux ? Si cela n’est pas « une question qui relève de l’intérêt général », je veux bien m’en couper une et la manger plus tard. Une tranche de gruyère, s’entend. Notez que j’aurais pu gratuitement écrire « une tranche de saucisson », mais je n’ai ni les couilles de Charb’, ni le talent de Cabu. Et aucun policier devant ma porte.
Je vous demande donc de ne pas gloser outre mesure sur les libertés. Elles sont toujours là, et à moins que notre pays sombre demain dans le totalitarisme le plus forcené elles resteront intactes un bon bout de temps. Des terroristes ont essayé de leur porter atteinte, mais c’est la conception que nous en avons qui a été touchée, pas elles. Bordel (ça, c’est pour la ponctuation) !

4 : Le coup de la guerre. Parce que bon, hein, fallait bien que ça arrive.
Ah, ça, on l’aura entendu ce terme à la con. Pire que tout : il a été utilisé par nombre de politiques, de musulmans très en vue (comprenez des représentants du Culte) et d’autres personnes de très bonne foi, ce qui m’a effaré. Non messieurs-dames, nous ne sommes pas en guerre. Ou alors on m’a menti pendant pas mal de temps à l’école, ce qui n’est pas le cas. On a affaire aujourd’hui à du TERRORISME, pas à une GUERRE. Aucun état n’est en cause. Les moyens utilisés sont les attentats et les assassinats politiques (ce qui s’est passé à Charlie Hebdo est un assassinat politique, j’y reviendrai plus loin). On tue ici des civils, et on attaque des idées. Au pire on peut parler de « guerre asymétrique », terme technique qui désigne des actes proches de ceux que nous vivons actuellement. L’utilisation du terme « guerre » dans les médias revient donc à exacerber un climat de peur et donner dans le sensationnalisme pour faire passer des idées souvent radicales. C’est un procédé de rhétorique politique très courant : on affole les masses afin de minimiser certaines actions qui paraitraient habituellement inacceptables.
Attention, je ne minimise moi-même rien. Je comprends qu’il faut renforcer la sécurité dans les terres de notre pays (et un peu partout dans le monde, en passant), je comprends qu’il faut que tout le monde prenne conscience du danger réel que représentent les groupes religieux extrémistes (quels qu’ils soient). Et je ne joue pas non plus sur les mots, loin de là. Je veux juste que l’on emploie les bons termes, afin que les Français ne soient pas pris pour des dindes de Noël. Si le terme « guerre » continue à être utilisé à tort et à travers – avec la résonance puissante qu’on peut encore lui connaître – la psychose va s’installer et les familles ne sortiront plus de chez elles. C’est malheureusement comme ça que le terrorisme peut vaincre : en terrorisant. Ne donnons pas de grain à moudre à ceux qui ont la meule incrustée de barbelés. Bordel, que cette image est mauvaise. Mais il est tard, alors je la garde.

5 : Le coup de l’amalgame. Les blagues sur les dentistes ont déjà été faites, merci.
Celui-ci, il me gonfle au-delà de l’imaginable. Il faut tout d’abord dire – même si ça va vous énerver – que les phrases du genre « Attention, il ne faut pas faire d’amalgame ! » sont grammaticalement fausses. Oui, vous vous en foutez. Non, je ne m’en fous pas. On doit dire : « Ne faites pas l’amalgame entre la religion musulmane et l’extrémisme islamique ». En clair : l’expression c’est « faire l’amalgame entre », suivi des choses ou personnes que l’on ne doit pas mélanger. De plus, il faut savoir que l’expression sous-entend une VOLONTÉ DE NUIRE. Ainsi on ne va pas demander aux gens de ne pas faire l’amalgame entre telle ou telle chose si ceux-ci ne sont pas animés de mauvaises intentions. Bon, ça c’est sur le papier et l’expression est de nos jours bien plus flexible. Pourtant, elle m’énerve tout de même. Pourquoi ? Eh bien parce qu’il faudrait être sacrément crétin pour mélanger deux choses qui ne sont pas identiques. Quel neuneu peut franchement mélanger innocemment les musulmans et les terroristes ? Qui a sérieusement un jour imaginé que Anders Behring Breivik était un bon chrétien ? Qui peut décemment ajouter que Baruch Kappel Goldstein est représentatif des juifs ? Personne. J’affirme donc que dans les prochains jours, ceux qui mettront la religion musulmane et le fanatisme religieux sur un pied d’égalité auront FORCÉMENT des intentions néfastes. Il est donc primordial de ne pas entrer dans leur jeu. Don’t feed the fool, dudes. Non, le bilinguisme fondamentalisme ne me fait pas très peur.
Note de fin de soirée : on écrit "la satire", aussi, pas "la satyre". Alors faites un effort. Le "satyre", c'est le mec à poil avec des sabots qui se tape des nymphes. Et je ne rigole pas, c'est très sérieux les nymphes dans la mythologie grecque.

6 : Le coup de la haine et des pleurs.
Ce point est complexe. Très complexe. J’avoue que pour tous les autres, une bonne analyse de la rhétorique, des faits et un recul suffisant permettent de ne pas sombrer dans l’erreur facile. Mais là, on touche à l’affect, et il est difficile de passer outre. Après mes quelques années d’études de philosophie et certains voyages dans des pays qui craignaient pas mal, je croyais m’être forgé une carapace nommée « humanisme » qui pouvait résister à toute la barbarie humainement concevable en voyant dans la haine pure une lumière ténue mais présente, immuable, évidente. Bref, je pense – et c’est la base de quasiment 99% de mes réflexions sur l’être humain – qu’on peut sauver n’importe qui des autres ou de lui-même. Bien entendu, cette conception quasi voltairienne de l’Humanité a été mise à mal par de nombreux événements tragiques dans l’Histoire du monde (guerres, attentats, etc.). Malgré tout, à chaque fois je parviens à ne pas me laisser happer par la haine et le désespoir quant à cette Humanité qui a tant fait gamberger les penseurs de l’Antiquité. Le 11 septembre 2001 a bien entendu été particulièrement rude pour moi (sans oublier 1995 et ses boulons gazéifiés qui m’ont valu de nombreuses nuits sans sommeil), et assurément pour vous tous. Mais à chaque fois, je me fais violence (ho, ho, ho) et je rationalise. Sauf que pendant un ou deux jours, eh bien on hait. On hait les cons, on hait les Hommes, on hait les politiques, on hait les idées, on hait les absences d’idées, on hait la haine. Et puis le cerveau reprend son activité.
Oui, la haine ne peut pas s’attacher à un cerveau qui fonctionne. Je le dis et je le pense. Je ne vous demande pas d’être d’accord, je ne vous demande pas de me croire sur parole. Je vous demande par contre de ne pas déverser votre haine si naturelle ailleurs que dans votre cerveau. Au pire, hurlez. Mais ne haïssez pas les autres sur les réseaux sociaux. Ne haïssez pas non plus trop longtemps les responsables du massacre du 7 janvier. Kant avait cette idée saugrenue – je vulgarise à mort, ne me jetez pas de pierres – que les sentiments foutaient le bordel dans le processus de réflexion et la perception de la morale. Je ne vous demande pas de lui faire confiance, j’ai moi-même encore pas mal de contentieux avec lui. Mais pensez-y un peu, de temps à autre. Pas tout de suite. Prenez votre temps. Mais par pitié, n’écrivez pas votre haine tant que vous n’aurez pas le cœur en paix. Non, oubliez la dernière phrase, on dirait que j’ai viré cureton. Mais le principe est là. Je vous redonne une une culte de Charlie Hebdo : « l’amour plus fort que la haine ». Avec la bave qui va avec.
Pour les pleurs, je ne peux rien pour vous. J’estime que les pleurs, c’est personnel. J’ai pleuré dans mes chiottes, hier. Mais je ne suis pas un exemple. Et puis les pleurs, c’est salvateur, parfois. Encore faut-il savoir pourquoi on chiale comme le gosse qu’on est encore. Effacez aussi cette dernière phrase de vos mémoires, on dirait que j’ai viré Barbara Cartland.

7 : Le coup des gosses.
Ah, ah, ah ! Je suis trop fort sur ce point, vu que je n’en ai pas. Mmm… Bref.
Sans vouloir entrer dans les détails, je vois ici et là que de nombreux parents s’inquiètent de « comment expliquer ce qui s’est passé à leurs enfants ». Eh bien souvenez-vous du temps où votre papa ou votre maman (ou n’importe qui d’autre si vous êtes orphelin… ce qui peut arriver si vous êtes enfant de journaliste, mais plus rarement que si vous êtes enfant d’immigré clandestin) vous a expliqué ce que l’IRA n’était pas une chanteuse italienne, que le Rainbow Warrior n’était pas une boîte de nuit, que l’OAS n’était pas une boisson chantée par Carlos (pas même le terroriste) ou que Matmatah ne parlait pas du Téléthon dans « Troglodyte ». À l’époque, mon père n’a pas eu besoin des « conseils » de personnes qui ne me connaissaient pas (ou de la brochure qui vient d’être créée pour les profs et les parents) pour m’expliquer quand j’avais six ans que les Khmers Rouges tuaient des enfants pour des idéologies foireuses. Et même si mon père est plus proche du Dieu que l’idée que s’en font nombre de croyants (de leur Dieu, pas de mon père), je pense que le vôtre a probablement su trouver les mots qui vous allaient (votre père, pas votre Dieu).
Vos gosses, ce sont VOS gosses. Je ne sais pas les élever. Facebook ne sait pas les élever. Twitter ne sait pas les él (140 caractères). Vous, oui.

8 : Le coup de la blague, de la leçon de vie et du nouvel amour pour Charlie Hebdo.
Ce coup-ci a déjà été tiré. Alors je ne veux pas dire par là qu’il faut faire la gueule, hein ! Pas du tout. J’étais même étonné de voir à quel point je pouvais faire des vannes immondes lors de la marche de mercredi soir (« soldes à Charlie Hebdo, tout doit disparaître », « les intégristes ont tiré les rois à la kalachnikov »…), alors même que j’avais envie de vomir depuis midi. Bien entendu, le rire – et spécifiquement le rire irrévérencieux – est le meilleur remède au mal terroriste, du moins pour les plaies non physiques. Ce que je redoute dans les prochains jours, c’est la surabondance de vannes « faites exprès », parce qu’il FAUT en faire. Le truc non spontané, pas drôle, typique du collégien qui veut épater sa classe. Bref, le mauvais goût et surtout le mauvais mot.
Pire : il y aura de nombreux faux derches qui se réclameront de Charlie alors que les unes de ce canard les auraient fait pâlir de honte il y a trois jours. Bref, je redoute l’opportunisme bien-pensant, paradoxe assez monstrueux quand on situe l’action de Charlie Hebdo dans le réel. Je sens que la facepalm va devenir un sport national d’ici peu.
Bien entendu, je suppose également que de nombreux jeunes vont également découvrir Charlie et peut-être l’aimer. C’est bien. Le principal, c’est d’être honnête, et de savoir pourquoi on est en colère. Personnellement, de nombreuses prises de positions chez Charlie Hebdo m’ont parues étonnantes. Je n’ai pas adhéré à tout. Mais je n’ai jamais remis en cause leur intégrité et leur honnêteté (le fait que je sois rédacteur en chef de magazines aide bien entendu à respecter leur ligne éditoriale, quelle qu’elle fut). Il ne sert à rien de suivre le mouvement tête baissée. On a le droit de ne pas être d’accord avec TOUT. On n’a juste pas le droit – dans l’absolu – de refuser que cela soit imprimé.
Notez que si le carnage avait eu lieu dans les locaux de Minute, j’aurais eu un discours similaire, mais bien plus mesuré. J’admets donc sans problème que l’affect et les sensibilités fondamentales jouent aussi. Point compliqué, je vous l’accorde.

9 : Le coup de l’extrême droite, de la Marine nationale et du Pen en l’air. Et la surenchère. Surtout la surenchère, en fait.
Pour faire court : l’extrême droite va utiliser ces événements à son compte. Marine le Pen a déjà commencé en se plaignant de ne pas être invitée à la marche de samedi prochain, en invoquant l’Union Nationale. Je tiens simplement à signaler que Charlie Hebdo était farouchement opposé aux idées du Front National. Je tiens aussi à signaler que d’autres personnes que des rédacteurs de Charlie Hebdo sont mortes, et que cette marche n’a pas de but – avoué – politique. En clair : qu’elle vienne si elle veut, celui qui la poussera n’aura pas réellement compris le principe « d’Union Nationale ». Oui, je ne l’aime pas. Non, je ne veux pas lui donner le plaisir de pouvoir s’en plaindre.
Et surtout : non, les réseaux sociaux ne sont pas des foires d’empoigne sur lesquels on vient étaler des discours politiques extrêmes, quand justement c’est un autre extrême qui vient d’étaler le sang humaniste sur les murs d’une rédaction.
On en reparlera en 2017. Là, on gueulera comme des cons et Godwin fera la girouette. C’est dans deux ans seulement, patience tout le monde.

10 : Le coup du complot. N’importe lequel, hein, je ne suis pas raciste.
« Mec, c’est un coup monté par l’extrême droite, ils ne pouvaient pas laisser une carte d’identité dans une voiture ».
Mec, il y a une Police en France. Et je te demande de lui faire confiance sur ce coup-là. Et – je suis navré mais je vais être un peu grossier – de la fermer tant que cette affaire n’est pas close. Parce que tu vois, je suis toujours plus enclin à croire le mec qui va se prendre une bastos à ma place pour que je puisse poser mon cul sur ma chaise et taper ce texte que celui qui va chercher le complot AVANT d’avoir des éléments ne venant pas d’un flux RSS d’une chaine info sous-informée. On attend les faits, les indices, les résultats d’analyses et ensuite on jouera aux Experts. Bisous.

11 : Le coup de la récupération. Ça va du gimmick à la politique. En passant par le pognon, une autre religion qu’on oublie un peu vite.
Balkany qui ferme son compte Twitter à cause d’une galette des rois et d’une journée de deuil, des marches organisées par des partis politiques, des coups de gueule « parce qu’on ne m’a pas invitée à la boum » (cf plus haut)… Il y a déjà des mugs « je suis Charlie » en vente sur le net (de « haute qualité », heureusement).
Personnellement, je n’irai à  aucune marche et je n’achèterai pas de T-shirt. J’ai participé à la seule qui avait un sens pour moi : celle de mercredi soir. Spontanée, et pleine de personnes hébétées et là « parce que… je ne sais pas, je crois que je devais être là ». Cette marche avait un sens parce qu’elle n’avait pas de leader. Je ne veux pas être récupéré. Faites ce que vous voulez, je ne juge personne et je comprends ceux qui veulent marcher alors qu’ils n’ont pas pu le faire mercredi (travail, ils ne savaient pas ce qui s’était passé, etc.). Je veux juste dire ici que la récupération d’un événement comme celui-ci est un crime. Ne cautionnez pas ça sur les réseaux.
Il n’y a pas de jeu politique (oui, je suis un Bisounours. Celui avec l’arc-en-ciel) dans cette affaire. Bien entendu, tous les partis vont tirer la fève dans leur côté de galette. À vous de ne pas les laisser croquer dedans.

12 : Le coup du « c’est bien fait, quand même ».
Non, ce n’est pas « bien fait, parce qu’ils ont commencé en caricaturant Mahomet, il fallait s’attendre à ça ». Non, on ne tue pas pour un dessin. Pas en France. Je n’écrirai pas un mot de plus. C’est simple : NON.

13 : Le coup de l’unité nationale et internationale.
Ah, non, ça c’est bon. Si vous avez évité les pièges des douze coups précédents, il y a fort à parier qu’il y a bien longtemps que vous êtes dans le coup. Je crois que j’ai mis tellement de temps à la caser, celle-là, qu’il vaut mieux que je la ferme et que j’arrête de vous casser votre coup. Le vôtre, celui qui ne sera pas sali par tout ce que je viens d’écrire. Parce que bordel de bordel, le plus important c’est CE poncif-là : « pensez par vous-même ». Il est naze, vieux et très cliché, mais c’est le seul qui compte vraiment.


Mais si vous pouviez éviter de pourrir Facebook et autres avec des conneries, je vous en saurai gré, chers damoiseaux et chères damoiselles. Parce que le véritable 13ème coup de feu, c’est le coup de la peur. Et malgré la boule que j’ai au ventre, malgré la boule que vous avez au ventre, le plus important c’est que ce coup ne soit jamais tiré.

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Post-scriptum :
Cet article peut paraître un peu "cru" et virulent pour qui connaît mes habitudes de rédaction. À vrai dire, cet article est volontairement un exemple de ces 12 coups qu'il ne faut pas tirer. Son ton est "2.0", sa rhétorique est volontairement puissante... mais surtout outrancièrement convaincante. Certains d'entre vous ne sont peut-être pas d'accord avec tous les points, mais vont liker ce post tout de même. Bien entendu, les arguments qui y résident sont sincères et honnêtes.... mais son style et sa rhétorique sont une image de ce qui va arriver rapidement sur les réseaux sociaux : de la quasi-propagande. N'oubliez jamais que lorque vous likez un statut, vous likez la globalité du propos. Quand vous adhérerez à un groupe Facebook, vous soutenez de facto son message - si message il y a. Bref, cet article fait doube emploi : j'y expose mon avis, mais également ce que j'attaque. J'espère que cette conclusion vous aura expliqué les nombreux "bordel" et autres joyeusetés qui émaillent cet article.
Merci d'être allé jusqu'au bout, d'ailleurs. C'était un peu long pour des vœux de nouvel an.


Gérald "Charlie" MERCEY
Journaliste





Et dire qu'en une seule image ils en disaient plus que moi en 4500 mots...

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