samedi 21 mars 2015

L'amphibologie et le Gouvernement : une fable 2.0

Je sais que je serai probablement taxé - à tort ou à raison - de doux noms d'oiseaux par la plupart d'entre vous, comme par exemple "grammar nazi", "muscaphile" ou encore "relou de première", mais j'estime être en droit de pouvoir critiquer le Gouvernement. Oh, pas sa politique (ce n'est pas le lieu pour cela) mais sa syntaxe. Comprenez par là que même si l'intention est louable, la méthode peut être sujette à caution. Voyons cela ensemble.

Sachez, bonnes âmes, que notre Gouvernement (si, comme moi, vous habitez sur le territoire français) est une sorte de chic type idéal, barbu et sympa (puisque barbu), mais en beaucoup mieux. Sachez également qu'il fait ce qu'il est censé faire : protéger les faibles, les veuves, les orphelins, les vieux, les enfants, les malades, les handicapés (merci de ne pas faire la liaison dans votre tête, cela m'empêche de dormir), les animaux... bref, il protège tout le monde sauf les criminels. Criminels qu'il protège tout de même lorsqu'ils sont mis en prison, ce qui place le gouvernement français en bonne place sur la liste des canonisations potentielles, entre l'abbé Cédaire et Monseigneur Lapince. Notre Gouvernement, ce n'est pas de la petite bière, croyez-le bien... mais plutôt un Chuck Norris croisé avec un Judge Dredd à la baguette bien ferme. Et avec la classe de Robert Redford en sus. Carrément. You, lovely boy.


Vous allez me dire que j'y vais un peu fort, et je suis absolument d'accord. Je vais donc relativiser tout cela en ajoutant que son défaut, c'est la syntaxe. Bon sang, on est passé à ÇA de la joie ultime. "À ÇA !", je vous dis.

Je ne vous fais pas languir plus longtemps : le problème vient du site Internet du Gouvernement, la vitrine habituellement immaculée et ultraconsensuelle dans laquelle les commerciaux ont commis bien malgré eux - en plus de la propagande bien légitime en ces lieux (même si elle est un peu ostentatoire par moments) - deux magnifiques phrases pas du tout recommandables. Pas de bol, le sujet est grave et sérieux... tout comme ma mauvaise foi quasiment légendaire, ce qui me permet d'écrire des articles désopilants et empreints de mots amusants, comme "stercoral". Joie.

Avant de les porter à votre connaissance, soyez au fait du fait (diantre !) que les sites concernés par ces phrases (qui leur servent de leitmotiv, rien que ça) sont d'utilité publique (et là je ne ris aucunement), puisqu'il s'agit du site contre le harcèlement sexuel et du site contre les violences faites aux femmes. Je ne veux bien entendu pas ici porter atteinte à ces sites et à ceux qu'ils représentent, ainsi qu'aux valeurs qu'ils véhiculent. Je veux uniquement montrer que les personnes qui ont trouvé leurs slogans ne sont pas les meilleurs utilisateurs du Bescherelle. Les vils pendards, les gredins cosmiques, les coquins balafrés.

Examinons ensemble les deux slogans incriminés :

Harcèlement sexuel : désormais la loi vous protège

Violences contre les femmes : la loi vous protège


J'en viens à ma démonstration. Nous allons devoir juger quelques points afin de démêler cet écheveau, soyons donc méthodiques.

I - Les deux-points ont de tous temps été un véritable casse-tête pour les étudiants en Lettres. 
Comment les utiliser ? Puis-je en mettre dans une phrase comportant un point-virgule ? Combien peut-on en placer dans un paragraphe sans passer pour quelqu'un qui ne sait pas gérer ses liens logiques ? C'est complexe, bref, c'est problématique. Le principe basique du deux-points est pourtant simple : il introduit une explication, une énumération ou une citation (cf. la définition du Larousse) et implique de facto un lien logique entre les deux parties de la phrase. Ce que je viens de démontrer avec - précisément - celle que vous venez de lire. Il est donc patent qu'il y a un lien logique entre les deux parties de chaque slogan dont nous parlons. La grammaire nous pousse même à aller plus loin en l'absence de verbe dans les deux propositions elliptiques (sans verbe) de début de chaque slogan - "Harcèlement sexuel" et "Violence contre les femmes" : elles représentent le contexte de l'action. Ainsi, elles sont plus importantes que le reste de la phrase, qui n'est qu'une précision du sujet dans un contexte préétabli. La loi vous protège dans le cadre du harcèlement sexuel et des violences contre les femmes. Dont acte.

II - Les propositions et leurs importances respectives étant définies, on peut regarder de plus près les mots utilisés :

A - Dans le slogan "Harcèlement sexuel : désormais la loi vous protège", on a le contexte du harcèlement sexuel, la précision temporelle "maintenant" et la seconde précision "la loi vous protège".
1 - La première précision - temporelle - est assez problématique. En effet, elle sous-tend le postulat que la loi ne vous protégeait pas "avant". Avant quoi ? Bonne question. Bon, admettons que cela signifie implicitement qu'une loi récente a été votée, permettant de protéger les harcelé(e)s (pour connaître le réel contexte de cette histoire, référez-vous à l'encadré ci-dessous), et rendons grâce au Gouvernement qui encore une fois prouve que son adoubement au sein du BCBG (le Banc des Chevaliers Blancs Gaulois) était bien mérité. Bref, ce "maintenant" est vraiment très démagogique. Mais j'avais promis que cela ne serait pas pris en compte, alors nous allons occulter cette figure rhétorique de nos esprits et nous concentrer sur la seconde précision.
Contexte et complément de réflexion :
Dans les faits, tout est bien plus complexe. Les diverses lois relatives au harcèlement sexuel ont été abrogées le 4 mai 2012 (le Conseil constitutionnel ayant été saisi avant l'accès de François Hollande au pouvoir, le 29 février 2012, attention à ne pas faire de raccourci trop hâtif). Cela a donné lieu à quelques manifestations et à une obligation morale et légale très logique qu'avait le Gouvernement à pallier cette problématique en rédigeant une nouvelle loi. Celle-ci vit le jour le 6 août 2012, et c'est bien entendu de celle-ci dont se réclame le site que nous étudions ensemble. Notez bien qu'en 2012 la France, patrie historique des Droits de l'Homme, est restée pendant trois mois sans aucune législation relative au harcèlement sexuel. Tous les cas de harcèlement sexuel antérieurs ont été classés sans suite (puisque relatifs à une loi abrogée, et ne dépendant pas d'une nouvelle n'ayant pas de pouvoir rétroactif). Je vous laisse juges de cet état de fait.
Pour la bonne bouche, je vous enjoins à lire cet article du Monde. Il vous éclairera probablement sur d'autres points relatifs à cette sombre histoire d'abrogation. Vous allez adorer, surtout si vous êtes une femme... N'oubliez pas que cela ne date que d'il y a trois ans, pas des années 50.

2 - Cette seconde précision ("la loi vous protège") est réellement problématique. En effet, il est impossible de cerner un sujet précis. Ah, vous allez me scander un "gros malin, c'est MOI le sujet !" très libérateur. Malheureusement, à cause du fait que vous avez absolument raison, nous nous retrouvons dans une très fâcheuse position. Car VOUS êtes bien le problème.
Comprenez que les pronoms personnels sont par nature... personnels. Le "je" est assez simple à utiliser, puisque le sujet est connu de l'auteur. Le "nous" suit la même logique. Le "tu" est également très simple à canaliser, et les "il / elle / ils / elles" sont généralement dépeints soigneusement avant d'être utilisés. Ainsi, tous ces pronoms personnels ne peuvent pas être galvaudés si on les définit correctement dans son raisonnement.
Mais le "vous" ne suit aucune de ces règles de définition préalable. Le "vous" est d'ailleurs fâcheusement ambivalent, puisqu'en français il peut être relatif à une ("vous" dit "de politesse") ou plusieurs personnes. Mais le "vous" s'adresse TOUJOURS à au moins une personne qui se trouve "hors de soi" (comme les "tu / il / elle / ils / elles", et contrairement aux "je / nous" - hiboux, cailloux, etc.) qui n'a de définition propre que "celle à qui on s'adresse". C'est vague.
Rationalisons le contexte, et posons-nous la question : "à qui s'adresse cette phrase : la loi vous protège ?". Eh bien à tout citoyen français jouissant de ses droits. Le harcèlement sexuel n'a en effet pas de sexe dans l'absolu. Ça fait tout de même un bon paquet de personnes. Affinons ce résultat en utilisant les données brutes des études relatives au sujet (ce que je ne conseille à personne, tant cela est sujet à caution) et en ne ciblant que les femmes françaises (premières victimes du harcèlement sexuel, et directement concernées par les campagnes de sensibilisation). Cela nous donne un panel réellement vaste et totalement disparate. Ainsi, ce "vous" n'a pas pas de réel sens. Pire : le verbe "protéger" est particulièrement mal choisi. Voyons ensemble quelques exemples :

- Si je suis une femme de 26 ans ayant subi des propositions malhonnêtes de la part de mon supérieur hiérarchique, tout va couler de source : "la loi me protège du harcèlement sexuel". Heu... Attendez... Elle me "protège" ? Mais elle me protège de quoi ? Le Larousse stipule que le terme signifie "mettre quelqu'un, quelque chose à l'abri d'un dommage, d'un danger". Or, la loi NE peut PAS me mettre à l'abri du danger du harcèlement sexuel, puisque celui-ci a déjà été signifié... Ah, donc la loi me protège non pas de l'agression et du harcèlement, mais bien de la récidive. Mais le mal est fait, et la loi n'a dans l'absolu absolument rien protégé du tout. Elle peut au mieux être dissuasive et protéger en faisant peur à l'agresseur potentiel... mais comme cela ne peut de facto pas être prouvé si le crime n'a pas lieu, on a affaire à un argument spéculatif. Ce n'est pas très pertinent, tout ça.

- Si je suis un homme de 50 ans qui vient de harceler sexuellement ma secrétaire en lui claquant les fesses et en lui disant que "les galons ça se gagne plus vite à l'horizontale", il est évident que ce slogan ne me concerne pas. Et pourtant, GRAMMATICALEMENT il est correct et va me couvrir de la même - si ce n'est mieux - manière que pour l'exemple précédent.
En effet, je lis bien "harcèlement sexuel : désormais la loi vous protège". Nous reprenons notre vieux refrain... le contexte est le harcèlement sexuel : c'est bon, puisqu'on a harcelé sexuellement quelqu'un. La proposition suivante me confirme le fait que la loi me protège. Génial. La grammaire est formelle : le Gouvernement protège aussi bien les victimes que les agresseurs.
Bien entendu, ce que je vous donne à lire est un sophisme éhonté. Mais grammaticalement parlant, il est strictement avéré. Moralité : quand on définit un slogan, on essaye de le mûrir un minimum.

- Si je suis une personne potentiellement sujette à une attaque relative au harcèlement sexuel mais que je n'ai pas encore été agressée, alors ce slogan me convient parfaitement. Malheureusement, à moins de vivre dans la nouvelle d'anticipation de Philip K. Dick The Minority Report, j'ai peu de chances qu'il soit juste ad vitam æternam...


B - Dans le second slogan "Violences contre les femmes : la loi vous protège", on distingue le contexte des violences contre les femmes, et la précision "la loi vous protège".
 1 - Le contexte est très mal présenté, syntaxiquement parlant. Considérons le fait que je suis contre cette violence (ce qui est logiquement votre cas). Je suis donc "contre les violences contre les femmes". Vous saisissez le souci de redondance ? De plus, la préposition "contre" est essentiellement péjorative. On se bat - dans l'inconscient collectif - généralement contre le Mal, et non contre le Bien. On se bat contre un tyran, contre le courant (exemples du Larousse), contre le sort, contre l'adversité. Il est assez peu répandu de dire "je me bats contre la vie" ou "je suis contre la beauté et l'amour". Pourtant, ici on a droit à une phrase qui contient les mots "contre les femmes". Un comble. Tout conseiller en communication débutant vous le dira : on n'utilise jamais un mot à teneur négative pour exprimer un sentiment positif. Or, le combat contre (!) les violences faites aux femmes est un combat positif. Notez que j'ai facilement pallié ce problème en usant de "faites aux femmes". J'aurais tout bien pu me servir de "envers les femmes" (notion ajoutée de "volonté néfaste") ou de "faites à l'encontre des femmes", qui n'ont pas la même teneur symbolique.

 2 - La seconde partie du slogan pèche par les mêmes défauts que le précédent : si on est un homme monstrueusement violent qui vient de tabasser sa femme dans la cuisine, les mots "violences contre les femmes : la loi vous protège" collent parfaitement à la situation. Contexte, lien logique, tout y est : grammaticalement, le Gouvernement nous sauve encore des affreuses griffes de la morale. C'est à en pleurer.



Je suis donc au regret de constater que ces slogans ne sont pas grammaticalement corrects, et peuvent malheureusement signifier tout et son contraire. Le problème vient du fait que selon le sujet (qui n'est logiquement pas défini puisque relatif à la personne qui lit le texte), le sens de la phrase peut différer. Ce qui est bien évidemment la chose la plus importante à ÉVITER quand on crée un slogan. Contrairement à ce que l'on pourrait croire, cette figure de style - ici involontaire -  n'est pas une syllepse grammaticale, mais bien une amphibologie. Quand les responsables des agences de communication du Gouvernement vont apprendre qu'ils génèrent à tour de bras de la figure de style au nom hyper classe sans même le vouloir, ils risquent de multiplier leurs tarifs par deux. L'avantage, c'est qu'avec ce pognon ils pourront se procurer quelques ouvrages de la collection Bescherelle. Pour caler leurs télévisions, à n'en pas douter.


Gérald Mercey







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