jeudi 10 décembre 2015

100% des statistiques prouvent que le terrorisme ne tuera plus.

Je ne me lasserai jamais de le répéter à l'envi : les statistiques sont un fléau international quand elles sont utilisées dans un cadre usant de rhétorique ou dans les médias. Pour prouver mes dires, je vais utiliser une vidéo humoristique de Bazzo TV (média comique québécois) qui est devenue virale sur les réseaux sociaux ces derniers jours.

Comme ça, ce sera rigolo et vous n'aurez pas eu l'impression de perdre dix minutes à lire plein de texte abscons.



Voici donc la fameuse vidéo :


Mettant en relation deux statistiques (à peu près) factuelles, l'humoriste Louis T. essaye de dédramatiser la psychose relative aux attentats terroristes. Voici ces données statistiques :
- Il y a environ une chance sur 116 millions de mourir dans un attentat terroriste.
- Il y a environ dix fois plus de chances de gagner à la loterie canadienne "6/49".


C'est amusant, en effet. Les statistiques sont d'ailleurs assez souvent amusantes et utiles, quand elles sont utilisées à bon escient. Dans le cas présent, il ne s'agit que d'humour et cela n'a pas vraiment d'importance majeure.
Malheureusement, les statistiques sont également la base d'un pan énorme de la rhétorique politicienne. Les chiffres ne se défendant généralement pas, il n'y a pas de problème quant à leur libre interprétation (qui parfois rappellent étrangement les diverses interprétations des versets de n'importe quel écrit sacré). Ainsi, une statistique factuelle dépourvue de sens va pouvoir revêtir n'importe quel atour dans la bouche de tel ou tel politicien. Cela peut paraître étonnant ? Eh bien, comme je suis soucieux du fait de vous montrer ce que la langue peut avoir de spectaculaire, je vais de ce pas vous présenter trois manières différentes d'utiliser les deux données statistiques précitées et de leur faire dire que vous ne mourrez JAMAIS dans une attaque terroriste. Pas avec un risque sur dix ou cent millions... non, jamais.

Comme je ne veux pas délocaliser ma pensée, je vais raisonner en bon Français de base et utiliser les données de notre bon vieux Loto national. Il n'a en effet rien à envier au "6/49", et est d'ailleurs plus difficile à prévoir, avec une probabilité sur 19 millions de décrocher son gros lot.

Voici donc nos données pour cette démonstration :
- Il y a environ une chance sur 116 millions de mourir dans un attentat terroriste.
- Il y a environ une chance sur 19 millions de gagner au Loto.

Et maintenant, voyons comment nous pouvons affirmer que plus personne ne sera victime d'un attentat terroriste :

1 - Fatalisme mathématique
Techniquement, avec deux tirages par semaine et seulement 25% de gros lots dérochés (statistiques de la FDJ), on peut dire qu’il y a un gros lot toutes les deux semaines qui est gagné. Or, il y a eu 130 morts lors des attentats du 13 novembre à Paris. Cela représente donc 260 semaines de gains, que l’on peut arrondir à 5 ans. Depuis 2000, il y a eu 140000 personnes tuées dans des attentats terroristes. En utilisant le même procédé de calcul, on obtient un compte de 5384 ans de gains maximaux.
Le Loto ayant été créé en 1975, le nombre de morts dans des attentats terroristes ne devrait ainsi statistiquement pas bouger jusqu’en l’an 7359. On a beaucoup de chance, finalement.

2 - Pragmatisme sophistique
Acceptons le fait que ces statistiques sont en corrélation. Arguons le fait qu'on ne peut pas gagner au loto si on ne joue pas. Or, si on ne joue pas, on a zéro chance de gagner au Loto. De facto, ne pas jouer au Loto sort le non-joueur de la statistique de « possibilité de gagner le gros lot au Loto ». Puisque les deux statistiques sont montrées comme étant en corrélation et sans notion de contexte (temporel, par exemple), pour ne pas être victime d’un attentat terroriste… il suffit de ne pas jouer au Loto. Pourquoi ? Parce que si on a moins de chance de subir une attaque que de gagner, et que la probabilité de gagner tombe à zéro... on ne risque plus rien. On peut également dans l'absolu changer les règles du Loto pour artificiellement modifier le nombre de morts. Pratique.

3 - Sophisme statistique pur
Pourquoi se limiter au Loto ? En France, on peut également jouer à EuroMillions (une chance sur 116,5 millions de toucher le gros lot).
Avec le même raisonnement sophistique que dans la vidéo, on peut annoncer sans ambiguïté que l'on a plus de « chances » de mourir dans un attentat terroriste que de gagner au tirage d’EuroMillions - une chance sur respectivement 116 millions et 116,5 millions.
Il vaut donc mieux jouer au Loto et non à l'EuroMillions, car on risque statistiquement de mourir dans un attentat terroriste avant de gagner le gros lot.
Mais continuons ce raisonnement logique sophistique :
> Cela supprime de facto tous les gagnants à l’EuroMillions. Statistiquement parlant, on peut donc annoncer que personne ne gagnera plus à l'Euromillions (puisque les gagnants potentiels seront morts avant d’avoir gagné).
> Ce qui donne une statistique de « possibilité de gagner à l’EuroMillions » égale à zéro.
> Ce qui implique qu’aucun attentat ne peut plus causer de morts, puisque plus personne ne peut gagner grâce au fait que tous les gagnants potentiels sont déjà morts... Oh mon Dieu, nous avons là un paradoxe magistral : les morts empêchent les morts.



Voilà. Avec des figures de style et quelques tours de passe-passe mathématiques, on peut faire dire n’importe quoi à n’importe quels chiffres anodins. Alors par pitié : laissez les mathématiques tranquilles. Et surtout, SURTOUT, laissez les statistiques loin de votre esprit critique et de votre dialectique.

Bien entendu, toutes ces démonstrations sont idiotes et peuvent être démontées en deux minutes. Cela n'est pas le propos ici, bien entendu. Je ne cherche simplement qu'à montrer que si jamais vous lisez quoi que ce soit se basant sur une interprétation de statistiques, il y a de fortes chances pour que vous lisiez quelque chose qui cherche à vous mentir.



 Gérald 'Khayrhalt' Mercey


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